Du racisme – Alors qu’en-est-il de nous mêmes

J’ai parlé, en général, de la présence de plusieurs origines qui composent la société française dans laquelle je séjourne depuis mon arrivée à Paris, en 1994. J’ai observé des différences culturelles et aussi des comportements de toutes sortes, surtout d’individu à individu. Maintenant, faudrait-il parler de racisme au regard de tout ce que j’ai vu ?

Du racisme ?

J’ai bien observé à Paris des différences de comportements, et des réactions diverses. Mais, j’ai aussi noté que les réactions que j’ai vues ici à Paris, et qui pourraient me pousser à parler de racisme, sont pour une très large part, des comportements que j’avais déjà vécus ou vus en Afrique, dans un même village, dans un même pays, dans la même ethnie, dans le même groupe social, etc.

De même, dans les administrations ou fonctions publiques de tel ou tel pays, en Afrique, par exemple, il vous serait difficile, presque impossible de trouver un emploi, si vous êtes d’un autre pays ; on vous expliquera que c’est la “nationalisation des cadres”. La formule devient consacrée, et certains technocrates africains doublés de xénophobie entérinée par leurs Assemblées nationales, en font leur domaine de prédilection contre les étrangers vivant chez eux. Aussi prennent-ils un malin plaisir à persécuter les étrangers en poste dans leurs pays, parce que l’on prétend que ces derniers, pris malheureusement pour des boucs émissaires, étaient responsables de la déconfiture économique nationale…

Alors, me faudrait-il parler de racisme, lorsque j’observe, à Paris, certaines choses que j’avais déjà vues, même pires, là-bas, en Afrique ? Non, nous en voyons trop pour douter : il y a plus de racisme dans la fonction publique en Afrique qu’ici en France.

Ici, à Paris, j’ai remarqué, quoi qu’on dise, qu’il existe des lois sur le racisme, et l’on pourrait porter plainte quand on est victime de certains comportements racistes. J’ai vu des personnalités civiles ou politiques, qui ont été citées en justice, et traînées devant les tribunaux, pour motif de racisme ou pour simplement des mots racistes ou frisant la xénophobie, proférés contre telle ou telle minorité, ou telle famille ou toute personne d’origine étrangère. Il est clair que la discrimination raciale en France, est passible de deux ans d’emprisonnement et de trente mille euros (19.667.700 F CFA) d’amende… Je ne dirais pas qu’il n’y ait pas de racisme ici ; plutôt, je reconnais qu’il y a des théoriciens et des pratiquants du racisme, – cependant, je suis en train de parler du parallélisme des tendances, entre ce qui se passe en Afrique et ce qui se passe ici, en France.

En Afrique, combien de lois existe-il sur le racisme ?

En Afrique, combien sont les textes de loi qui répriment le racisme ? On remarque plutôt que des tendances nationalistes doublées de xénophobie règnent presque partout, sur le continent noir contre des ressortissants de telle ou telle région, et cela, dans le même pays pourtant régi par les mêmes lois républicaines. À titre d’exemple, on peut ne pas être boursier, parce que l’on n’est pas de la région au pouvoir, ou de la région du Président, ou du ministre, ou carrément, parce que l’on est ressortissant de telle autre  région du pays… Il en est de même des recrutements dans la Fonction publique. Tout cela ne relève-t-il pas du racisme ? La définition moderne du racisme sur le plan juridique, n’englobe-t-elle pas toutes ces facettes du tribalisme, du régionalisme et des autres avatars de la xénophobie ?

En tout cas, je pense que, si les lois, qui existent sur le racisme en France, existaient également chez nous, là-bas, dans le monde noir, nous aurions moins de guerres tribales et moins de génocide en Afrique, avec leurs cortèges de victimes innocentes immolées sur les autels diaboliques des élans tribalistes des tendances génocidaires des républiques apostates réfractaires aux pulsations humanitaristes du monde ou à la citoyennisation ou à la sociabilisation de l’homme. Il faut l’avoir vécu pour le reconnaître.

Ainsi, quoi qu’on dise, des étrangers sont un peu partout dans la fonction publique française, même ceux qui n’ont pas encore la nationalité française, et travaillent sous contrat, pendant presque toute l’année, surtout dans certains services. Une telle ouverture professionnelle est-elle toujours offerte aux étrangers, chez nous, là-bas, en Afrique ? J’ai, un jour, bénéficié de cet avantage, au rectorat, en France.   

Un jour, au rectorat, pour mon activité professionnelle.

Je me souviens encore de l’entretien que j’eus avec l’inspecteur académique, au Rectorat, en France, avant d’être recruté comme professeur de français. En effet, monsieur l’inspecteur me reçut favorablement dans son bureau, et m’interrogea d’abord sur ma formation universitaire ; ensuite, sur mon expérience pédagogique. À la fin de cet entretien, il écrivit son avis sur mon dossier. Je remarquais qu’il appréciait favorablement mes réponses. Toutefois, avant de le quitter, je lui demandai son avis sur cette entrevue que je venais d’avoir avec lui. Il me montra mon dossier qu’il transmettrait au service du personnel, et sur lequel je pus lire ce qu’il avait écrit : “Avis très favorable”.Quelques jours plus tard, je fus appelé par le rectorat, pour l’attribution d’un poste, et je repris ainsi mon activité de professeur de français, dans l’Éducation nationale, en France.

Je me souviens qu’un jour, par contre, dans un État africain, lorsque j’abordai le responsable du recrutement des professeurs, au ministère de l’Éducation nationale, il me déclara  vertement : “Monsieur, je vous informe que c’est la politique de la nationalisation des cadres dans notre Pays, et que le gouvernement est ferme là-dessus ; il n’y a donc pas de possibilité de recrutement pour les Étrangers”.  Comment pourrait-on qualifier un tel discours ? Je préfère ne pas faire de commentaire là-dessus, car ce n’est pas le sujet de ce livre. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, en Afrique. Maintenant, je parlerai plutôt d’une  démarche de mes élèves français qui voulaient se débarrasser de leur professeur. 

Mes élèves ne voulaient plus de leur ancienne professeure, certes d’origine française.

Un jour de l’année 1998, en France, alors que j’étais dans l’établissement où j’enseignais, mes élèves vinrent me voir et me tinrent ce langage :  «Monsieur, nous allons faire des démarches, et nous allons demander à l’administration de notre établissement, de remplacer notre ancienne professeure, Madame Unetelle : elle ne va plus nous tenir, et vous allez la remplacer, pour être toujours avec nous”. Je croyais qu’ils blaguaient ou qu’ils voulaient simplement m’amuser, et je ne pris pas leurs propos au sérieux. Mais attention ! Blague à part ! A mon insu, et à mon grand étonnement, l’affaire fut portée par mes élèves à la connaissance de l’administration qui m’en fit ensuite part, disant :“Vos élèves sont venus nous voir, et nous ont dit qu’ils ne voulaient plus suivre les cours de Mme Unetelle, et qu’ils souhaitaient que vous soyez toujours leur professeur de français. Nous leur avons promis que nous en informerions le Rectorat, pour prolonger votre fonction dans notre établissement…’’

Voilà les démarches de mes élèves ! Or, le professeur dont ils voulaient se débarrasser, était bien une Française ; et le professeur qu’ils voulaient garder, c’était moi, l’Africain. Je fus, par ailleurs, surpris d’entendre mes élèves tenir encore le même discours, lorsque je causais un autre jour avec madame la professeure en question, qui fut ce jour-là, très troublée devant moi ; je fus également perturbé, bien que ce discours de mes élèves fût en ma faveur.

Faudrait-il toujours y voir du racisme, chaque fois qu’il y ait un différend entre Blanc et un Noir ?

Maintenant, mon observation est la suivante : si c’était, par exemple, contre moi, l’Africain,  que les élèves avaient effectué cette démarche de rejet de professeur,  aurions-nous eu raison de voir, à travers cela, un signe de racisme contre moi ou contre les Noirs en général? Je pense donc qu’il n’y a nécessairement pas racisme, toutes les fois qu’un signe de mécontentement frappe un étranger. Car certaines personnes sont en effet, parfois victimes de leurs propres agissements détestables, et sont en conséquence méprisées, non pas en tant  que noires ou étrangères, mais à cause de leurs comportements ou de leur morale personnelle qui leur ôte respect, bonne compagnie, considération et autres, dans leur entourage.

Dans ce même ordre d’idées, une querelle entre un Blanc et un Noir, pourrait vite et malheureusement  être placée sous le signe de racisme ! Or, quand des Blancs se disputaient entre eux, ou que des Noirs se querellaient entre eux, quelque part à Paris ou ailleurs,  s’agirait-il aussi  là, d’une manifestation raciste ? Faudrait-il toujours y voir nécessairement du racisme, chaque fois qu’il y aurait un différend entre un Blanc et un Noir ?

Non, loin de là. Malheureusement, le pas est souvent vite franchi, et l’on accuse précipitamment de racisme, sans qu’il en soit nécessairement question. Et bien des gens sont parfois lésés par cette erreur de jugement. C’est dommage, mais c’est la réalité. Et c’est encore dommage. Un proverbe de chez nous dit que “ Toute détonation qui retentit n’est nécessairement pas un signe de déclaration de guerre.» Car un chasseur pourrait aussi tirer dans les parages. Mais, s’il fallait parler du racisme, que pourrait-on dire de nous-mêmes, en Afrique ?

Qu’en est-il de nous-mêmes en Afrique ?

Sommes-nous moins racistes que les autres peuples de la planète ? Ne détestons-nous pas les autres qui ne sont pas de notre ethnie, même s’ils sont des Noirs ? Recevons-nous favorablement ceux qui sont venus de l’autre côté de la montagne, ou de l’autre côté du fleuve, ou de l’autre côté de la frontière, et qui vivent chez nous, en Afrique ? 

En Afrique, j’ai vu des étrangers africains vivant dans un autre pays africain, maltraités par les nationaux ! J’ai aussi vu des Africains pourchassés par les forces de la police et de la gendarmerie, parce qu’ils n’étaient pas en possession de la carte de séjour. J’ai vu des femmes détaler dans des marchés publics, parce qu’elles étaient des étrangères, et à cause  de la carte de séjour qu’elles n’avaient pas. Ainsi, dans certains cas, on pourrait parler d’une certaine forme de racisme en Afrique, consistant en une haine contre les étrangers africains qui vivent dans tel ou tel pays africain. On pourrait, par exemple, aller attaquer malheu-reusement le magasin  de tel commerçant étranger, quelque part dans un village, et rester impuni ! De même, dans cette Afrique où l’on parle de l’Unité Africaine ou mieux, de l’Union Africaine, pourtant, des haines nourries contre les étrangers même africains, sont vite maquillées et converties en exigence de carte de séjour, au coût élevé par surcroît, soutenues par de fallacieuses arguties de justification gouvernementale : un acte volontaire de xénophobie déguisée et d’ostracisme d’instinct grégaire. C’est dommage !

J’ai vu, en Afrique, des marchés incendiés, parce que c’étaient des marchés de spécialités étrangères, pour une affaire de haine ou de football ! J’ai vu en Afrique, des étrangers contraints  par les forces de l’ordre,  de descendre des véhicules qui les transportaient, parce que, lors  du contrôle, on découvrit qu’ils n’étaient pas en possession de leurs titres de séjour. Et les voyageurs étaient descendus, abandonnés là, au milieu de leur trajet, alors qu’ils traversaient le pays, et qu’ils avaient déjà payé leurs frais de transport ! Avez-vous, une fois, vécu dans un autre pays africain, en tant qu’Africain, vous-même ? N’avez-vous jamais vu des Africains vivant chez vous en Afrique, pourchassés par les forces de l’ordre, pour motif de non-possession de cartes de séjour ? N’avez-vous jamais vu les autres ethnies détestées par les gens de votre village ou de votre région ? Quelle est, quant à vous-même, votre attitude à l’égard des ethnies de l’autre côté de la montagne, ou bien de l’autre village ou ville, ou de l’autre côté du fleuve, ou de l’autre côté de la frontière, et qui vivent chez vous ? Êtes-vous favorable à leur séjour chez vous ? Êtes-vous jamais satisfait de voir des étrangers hawoussas, nagots, foulanis, zermans, méguidas, et les autres, travailler dans votre pays, tant dans le public que dans le privé ? N’avez-vous jamais pensé à leur expulsion? N’avez-vous jamais vu des Africains chassés des pays africains dans lesquels ils vivaient en tant qu’étrangers ? Oseriez-vous l’oublier ? Vous n’oseriez guère dire avoir été satisfait des traitements que vous auriez subis en tant qu’étranger dans un autre pays africain ! Comment pourrait-on se développer et développer son pays et son milieu natal avec de telles pensées rétrogrades et délétères ?

C’est pourquoi, je ne serais pas tellement satisfait de parler de racisme ou d’en faire un sujet spécial, pendant mon voyage à Paris, parce que tout ce qui pourrait me déranger ici, en France, ou que je pourrais qualifier de raciste, je l’avais déjà vu et vécu en Afrique, avant de venir en Europe. Tout le monde reconnaît qu’il existe une forte différence de culture entre le monde occidental et le monde noir. Je sais aussi une chose que j’accepte bien : je suis étranger ici, en France. Je me suis donc préparé à comprendre les gens d’ici, en Europe… Je voudrais faire preuve d’esprit d’ouverture, et je l’écris en toute sincérité et honnêteté intellectuelle.

Ainsi, je reconnais qu’il existe du racisme partout, et qu’ici il existe des théoriciens et des champions des attitudes discriminatoires, mais je sais aussi qu’il n’y a guère de culture qui ne se méfie de l’autre ou qui ne la rejette instinctivement. Cependant, je suis en train de parler d’un amalgame à éviter… Mais, avant de taxer les autres pays de racisme, il nous faudrait « d’abord enlever la poutre de notre œil, afin de voir comment enlever la paille de l’œil de l’autre”, parole de l’Évangile du Christ.Tout le monde est donc coupable… Mais la vie continue : nous allons tous peut-être vers une destination commune, celle de l’avenir, et le progrès ne s’arrête pas.

Extrait d’AKPAGAN K. M. Cyrille, Voyage à Paris ou un monde occidental vu par un jeune homme d’Afrique noire, Edisercom, Paris, 2007, pages 114-119